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Opinion

Contribution: ET SI LE SÉNÉGAL REFUSAIT LE DÉVELOPPEMENT ?


Samedi 2 Mai 2015

Malgré un potentiel de recettes de 850 milliards par an, dans les secteurs minier, halieutique et des télécommunications, l'État continue de miser sur les bailleurs étrangers pour financer son économie

Le Sénégal pourrait financer son développement avec ses ressources propres. À condition de tirer le meilleur profit des secteurs minier, halieutique et des télécommunications.

Des milliards en jachère

La nudité des chiffres est aguichante ; l’optimisme des prévisions réconfortant. À en croire l’ingénieur géologue Lamine Diouf, le Sénégal pourrait gagner 8500 milliards de francs Cfa sur 10 ans grâce aux secteurs minier, halieutique et des télécommunications. Ainsi, il réussirait à financer son développement sans alourdir davantage le fardeau de la dette, déjà insupportable, léguée aux générations futures et, dans la foulée, à se libérer du corset des bailleurs de fonds étrangers. Tout serait question de vision et de volonté politique.

Le Sénégal possède dans la région de Kédougou 10 mines d’or avec des ressources aurifères prouvées. Pourtant, une seule (Sabodala) est exploitée. Les autres, Massawa (3,7 à 6 millions onces d’or), Goulouma (3 M), Nyamia (2 M), Boto (1,8 M), Massoto (1,5 M), Makabingui (1 M), Mako (1 M), Gora (350 mille) et Konkoutou (25 mille), sont en jachère. Leur mise en service en même temps pourrait faire rentrer dans les caisses de l’État une moyenne annuelle de 300 milliards rien qu’en recettes fiscales.

Pour établir ses projections, Lamine Diouf s’est référé à la mine d’or de Sabodala : 150 milliards de taxes et impôts sur les bénéfices, 90 milliards de royalties (5% de la production) et 60 milliards représentant la part de l’État (10%) dans le capital de la société.

Certes en dehors de Massawa, toutes les mines non exploitées ne sont pas à l’heure actuelle aussi riches que la référence. Mais cet élément ne serait pas de nature à compromettre la justesse de la base de calcul de leur valeur financière car, indique l’ingénieur géologue, chacune de ces mines, exploitée au mieux, peut produire davantage d’onces d’or que Sabodala.

Le potentiel est réel. Immense. Et ces prévisions de recettes ne prennent pas en compte les mines de fer, de phosphates, de zircon, d’ilménite et d’attapulgite encore moins les indices importants de cuivre, de lithium et d’uranium. Elles n’intègrent pas, non plus, les revenus potentiels de la production pétrolière ni la niche que constituent "les services miniers rentables et sans risques" dans lesquels, suggère Lamine Diouf, l’État devrait investir pour augmenter ses revenus dans le secteur minier. "Ainsi on pourrait projeter et se fixer comme objectif d’atteindre 500 milliards de francs de revenus par an à partir du secteur minier et pétrolier", déclare l’ingénieur géologue.

Et ce n’est pas tout. Sans rentrer dans les détails, le spécialiste des Mines dira que le Sénégal pourrait gagner 250 milliards par an grâce à ses ressources halieutiques et 100 milliards annuellement dans le secteur des télécommunications. Pour ce qui est des télécoms, avise-t-il, "il faudra maximiser les ressources générées (appels entrants, 4G, 4e opérateur)".

"Ainsi donc à partir de ces trois secteurs stratégiques, le Sénégal pourrait disposer d’environ 850 milliards de francs Cfa de revenus par an, 8500 milliards de francs Cfa sur 10 ans qui pourraient aisément financer son développement sans endettement", martèle Lamine Diouf. Qui précise : "Évidemment ces chiffres ne sont que des projections, mais ils démontrent à volonté l’immense potentiel en ressources financières internes dont pourrait bénéficier le Sénégal qui disposerait ainsi d’un budget d’investissement inestimable qui lui permettrait de définir et de financer ses priorités de développement (Éducation, Santé, Agriculture, Élevage, Pêche) en toute indépendance."

Tout ce qui brille n’est pas or

Modérateur du panel du Forum civil sur la gouvernance minière, tenu mercredi dernier au siège de la Fondation Friedrich Ebert, le constitutionnaliste Abdoulaye Dièye s’est littéralement enflammé au terme de la communication de Lamine Diouf. "J’étais en train de rêver", a-t-il confié en reprenant la parole et ses esprits à la suite de l’exposé de l’ingénieur géologue, fortement ovationné par l’assistance.

Mais entre le rêve et la réalité, il y a un pas que tous les spécialistes des secteurs en question ne sont pas près de franchir dans un mouvement d’ensemble. Pour les télécommunications, les membres de l’Amicale des cadres de la Sonatel (Acson) estiment que le Sénégal n’a pas besoin d’un quatrième opérateur. Ils affirment : "Les dernières études menées, y compris celle effectuée par Raul Katz Professeur à la Columbia Business School de New York (Economics and Finance) et actuel Président de Telecom Advisory Services, démontrent que le marché du Sénégal ne peut pas accueillir un 4e opérateur. L'expérience internationale indique que 3 opérateurs télécoms sur le marché est un nombre permettant d’assurer les bénéfices attendus par les consommateurs (avantages tarifaires et innovation technologique) tout en garantissant un niveau adéquat et durable d'investissement et de recettes fiscales pour l’Etat."

Dans le domaine des Mines aussi, certaines considérations économiques bloquent l’exploitation de la plupart des richesses du sous-sol sénégalais. "Une ressource n’est pas forcément exploitable. Il faut les conditions économiques pour l’exploiter", avertit Babacar Diouf, ingénieur des Mines, chef de Division à la direction des Mines et de la Géologie, qui prenait part au panel sur la gouvernance minière organisé par le Forum civil. Il cite l’exemple du fer du Sénégal oriental : "Les 800 millions de tonnes de fer sont bien dans le sous-sol, mais pour l’exploiter il faut une voie ferrée, un port, entre autres infrastructures qui font défaut."

Autre exemple : le projet Massawa, la mine d’or dotée de 3,7 à 6 millions d’onces d’or. La société qui l’exploite, Randgold Resources, est confrontée à "des contraintes d’énergie, de traitement et d’opportunité de marché". D’autres sociétés minières butent sur le défaut de quitus environnemental ou se voient signifier que leur étude de faisabilité n’est pas banquable…

Corriger le Code des Mines de 2003

Les écueils sont énormes. Mais, ils sont surmontables. Pour y parvenir, afin de permettre au Sénégal de profiter au maximum des richesses de son sous-sol, une vision claire dans la conduite de la politique minière s’avère indispensable. Dans ce sens, Lamine Diouf préconise la mise en place d’une banque des Mines (courtage, levée de fonds), la création d’une société de forages miniers, l’érection d’un laboratoire d’analyses d’échantillons de roches, la transformation sur place des produits pétroliers et miniers, l’exploitation des mines de fer et de phosphates par l’État, la création d’une société sénégalaise des Mines et une fiscalité adaptée au secteur minier.

La mise en œuvre de cette dernière recommandation est d’autant plus urgente, aux yeux de certains spécialistes du secteur, que l’État ne profite pas suffisamment des ressources du sous-sol. Selon des chiffres rapportés par l’inspecteur des Impôts Élimane Pouye, et approuvés par Babacar Diouf de la direction des Mines et de la Géologie, le Sénégal a davantage perdu que gagner dans ses rapports avec les sociétés minières. Depuis 20 ans, apprend-t-on, les exonérations accordées à celles-ci se chiffrent à 400 milliards de francs Cfa, soit 20 milliards par an.

À l’opposé, les Mines ne rapportent que 15 milliards annuellement dans les caisses de l’État. Une anomalie de l’avis d’Élimane Pouye. Qui dit : "En phase d’investissement, il y a des exonérations et en phase d’exploitation, il y a des prélèvements modiques. Or dans le secteur minier, les investissements sont vite rentables. On exonère par exemple jusqu’à 15 ans, alors que les investissements sont généralement rentables en 5 ans. Les régimes qui se sont succédé ont été peu intelligents à ce niveau."

Sans doute conscient du manque à gagner dans le secteur des Mines, le gouvernement tente de remettre les choses à l’endroit. Il prépare un "projet de loi portant code minier". Selon un communiqué de la Présidence, les acteurs du secteur minier et les décideurs étaient, hier, autour du Président Macky Sall pour "passer en revue les innovations, améliorations et dispositions nouvelles afin de favoriser une gestion minière optimale dans la satisfaction des différentes parties intéressées".

À l’ouverture de la rencontre, le chef de l’État a rappelé que "le secteur minier peut jouer un rôle déterminant dans le développement économique et social de nos Etats à condition que l’exploitation du potentiel minier contribue à la diversification de l’économie, favorise un meilleur partage des ressources et améliore les conditions de vie des populations".

À la suite d’une mission du FMI, en juin 2012, Macky Sall avait demandé une évaluation de la fiscalité minière au Sénégal et la révision du code minier de 2003. Lequel, faisait-il remarquer, "avait fini de montrer ses limites car jugé un peu trop incitatif et, souvent, au détriment de l’intérêt national".

Aujourd’hui, il s’agit de trouver les moyens de concilier les intérêts de l’Etat et des populations "tout en préservant le caractère attractif du Code, au regard de la concurrence internationale". Un jeu d’équilibre difficile, mais fondamental. Faute de quoi, le Sénégal continuera de dépendre de l’aide extérieure pour financer son développement. Une option qui alourdit le poids de la dette, empêche d’adopter des politiques économiques en phase avec les priorités nationales et, finalement, compromet tous les efforts pour un développement durable

SENEPLUS





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