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Opinion

Contribution: CREI, MERCI ! PAR YOUSSOUPHA DIOP


Samedi 28 Mars 2015

Comment peut-on se dire défenseur des droits de la personne et considérer comme illégitime une instance dont la mission est la moralisation de la vie publique ?
Les «droits de l’hommistes», comme ils sont qualifiés vont devoir nous lâcher les brides, de grâce. Je préfère parler de droits de la personne pour intégrer les femmes et éviter de taxer une législation aussi importante de sexiste. Cette remarque liminaire faite, je me pose beaucoup de questions, au vu de certaines prises de positions récemment faites, sur le sens et les motivations de leur combat pour la protection des droits de la personne.

Comment peut-on se dire préoccupé par le respect des droits de la personne devant le spectacle ahurissant des enfants talibés exposés à toutes sortes de périls : pédophilie, traite de personnes, crimes, trafic d’organes, extorsion de fonds…

Ne sont-ils pas des personnes ? Non ce ne sont peut-être pas des personnes de la même graine que tous ceux qui ont été convaincus d’enrichissement illicite.

Dans les rues de Dakar, de Bamako ou de n’importe quelle capitale africaine, ils auraient eu tous les jours, des motifs de formuler des plaintes au nom de l’atteinte des droits de la personne. Droit à la santé, droit à l’éducation, droit à un travail décent…

J’ai entendu, dans un débat, un éminent défenseur des droits de la personne, non excusez des droits de l’homme, confondre légitimité et légalité. Comment peut-on se dire défendeur des droits de la personne et considérer comme illégitime une instance dont la mission principale est la moralisation de la vie publique, créée depuis plus de trente ans et jamais remise en cause par les Sénégalais ?

Par ailleurs, le «droit de l’hommiste», grand militant, ne saurait prétendre que la CREI est illégale car sa création ne souffre d’aucun manquement au processus d’édiction des lois et règlements de notre pays. Elle ne porte pas atteinte à la souveraineté de notre pays et mieux, le conseil constitutionnel l’a déclarée conforme à la constitution de notre pays et en totale adéquation avec les engagements internationaux du Sénégal.

En quoi la CREI représente-t-elle une atteinte aux droits de la personne ? Qu’ils veuillent bien nous le dire explicitement. Ils sont invités à venir présenter in extenso leurs arguments scientifiques sur la place publique.

Se réclamant souvent d’une appartenance ou d’une affiliation à des organisations très solides, pourquoi leurs prétendus mentors, dotés de moyens financiers très importants, et, surtout, d’une puissance de communication sans commune mesure, n’ont-ils pas appuyé leurs arguties ? La question mérite d’être posée. Est-ce parce qu’ils ne partagent pas forcément les points de vue de nos «droits de l’hommistes» sur la question ?

Je crois savoir que, par la suite, face aux éclairages apportés par de très bons avocats et de vrais juristes, ils ont été amenés à dire que la CREI a, certes, sa raison d’être mais qu’il faudrait la réformer. Soit. Pourquoi ne pas faire des propositions précises ? Que faut-il changer ? Qu’est ce qui ne leur convient pas ?

Je crois comprendre, devant le flou artistique des multiples déclarations inexpertes et même expertes, souvent, que ce serait en raison de l’impossibilité pour les intimés de faire appel. Il ne peut s’agir que de cela à mon humble avis. Sinon, comment peut-on se permettre de dire devant la procédure qui a eu pour aboutissement la condamnation de ces personnes qu’il y aurait violation des droits de la défense ?

Le principe du contradictoire a été respecté, la non-communication de toutes les pièces n’a jamais été invoquée. Les prévenus ont eu droit à l’assistance d’avocats durant toute la procédure. Ces derniers ont soulevé toutes les exceptions qu’ils désiraient. Les juges ont fait montre, manifestement, d’une magnanimité permanente en accordant des délais, en repoussant ceux-ci, le cas échéant. Ils ont donné la chance aux prévenus de produire toutes les pièces pouvant corroborer leurs allégations.

Prétendre que l’impossibilité de faire appel d’une décision constitue un manquement à l’équité et représente une atteinte aux droits de la personne relève de la plaisanterie. La pratique juridictionnelle sénégalaise révèle que, dans plein d’autres domaines, il ne pourrait être fait appel des décisions rendues. Cela veut dire, en bon droit, faire usage d’une possibilité de réformation de la décision.

Le cas échéant, cela signifierait que l’on doive revisiter tous les aspects factuels de la décision, voire faire appel à de nouveaux témoins par exemple, apporter des éléments nouveaux. C’est pourquoi on considère que l’appel est une voie de réformation.

L’appel constitue l’une des voies de recours dont les effets sont les plus larges ; il s’agit d’une voie de réformation qui remet en cause l’autorité de la chose jugée en première instance, afin qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit.

La cour d’appel est ainsi chargée de juger une seconde fois le litige.

Il est donc évident que dans l’affaire qui nous occupe, pour une saine administration de la justice, qui pourrait concevoir que l’affaire soit rejugée ? Qui pourrait l’imaginer avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir sur les prévenus eux-mêmes, sans parler des risques de dissimulation, de falsification de preuves, et tutti quanti ?

C’est pour toutes ces raisons que la loi permet une voie de recours qui, elle, n’est pas ordinaire : le pourvoi en cassation. Même dans les cas extrêmes, un pourvoi en cassation est donné aux parties prenantes. J’ai, cependant, cru avoir lu à l’occasion de l’interview d’un éminent avocat de la place que pourvoi en cassation serait une nouvelle expression. C’est à se demander dans quel pays on se trouve. C’est, presque, croire que la cour de cassation ou la cour suprême n’ont été créées qu’à cause de ces prévenus du délit d’enrichissement illicite. À tomber des nues.

La loi sur l’enrichissement illicite prévoit expressément cette possibilité de recours que les avocats des prévenus ont usitée en l’espèce car dès le lendemain, eux tous ont déclaré se pourvoir en cassation. N’est-elle pas formidable notre architecture juridique ?

Les «droits de l’hommistes» ont tiré à boulets rouges sur le prétendu renversement de la charge de la preuve. En première année de droit, on apprend ce qui suit : «actori incombuit probatio» à savoir, la preuve incombe aux demandeurs. Ladite phrase continue par ce qui suit : «reus excipiendo fit actor» (lorsque vous êtes amenés à soulever un moyen de défense, il vous appartient d’en apporter la preuve comme si vous étiez le demandeur). Exemple : le cadavre d’une femme morte par strangulation est découvert le matin au réveil dans la chambre que son époux partageait avec le de cujus qui était son épouse.

Franchement, à qui revient l’obligation de démontrer qu’il est innocent. Ce qui est différent de l’obligation faite au procureur de démontrer que le mari est coupable. Dans la procédure d’enrichissement illicite qui nous a occupés, voilà ce qui s’est passé : monsieur X, vous avez manifestement un train de vie exorbitant, apparemment sans commune mesure avec vos revenus. Vous exercez des charges publiques et vos revenus ne devraient pas vous permettre une telle accumulation de richesses. Voulez-vous nous prouver que vous les avez acquises de manière licite ?

Monsieur, vous dormiez à côté de cette femme trouvée morte par strangulation, l’avez-vous tuée ? Le mari, n’a-t-il pas le devoir pour sauver sa tête de démontrer qu’il n’est en rien mêlé à ce meurtre et d’apporter subséquemment des preuves solides de ses allégations ?

Par conséquent, si vous avez un train de vie exorbitant, sans commune mesure, manifestement, avec vos revenus supposés et que tout le monde le voit, tout le monde le constate, si vous êtes invité à le justifier, où est le problème ?

Maintenant, prétendre qu’un tel tribunal qualifié par les soit disant «droit de l’hommiste» de tribunal d’exception, n’existe qu’en Corée du Nord, c’est véritablement pousser le bouchon trop loin à la limite du supportable. Là-bas, de tels crimes économiques sont passibles de la peine de mort. En Chine également. Aux États-Unis, Maddof a été condamné à combien d’années ? De hauts dirigeants croupissent en prison pour le restant de leur vie pour des sommes beaucoup moins importantes.

Certains intervenants ont même cru devoir donner des leçons de droit aux juristes chevronnés de la CREI. Je crois, en effet, avoir entendu que les chances de casser cet arrêt sont réelles car le juge ne pouvait pas disculper les prévenus du délit de corruption et retenir contre eux l’enrichissement illicite car selon cet apprenti sorcier, corruption égale enrichissement illicite. Ce type de confusion ne doit pas prospérer dans l’entendement de nos compatriotes. Il suffit de les renvoyer au Code pénal qui prévoit le vol, la corruption, l’enrichissement illicite entre autres délits et qui les définit sans confusion possible pour qui sait lire.

Enfin, prétendre que le système est biaisé car l’État n’a poursuivi que Karim Wade relève d’un argumentaire fallacieux car des déclarations faites par des personnes autorisées ont révélé que d’autres dossiers seraient en cours d’instruction. Sans les citer quelques-uns sont bien connus. Mais la loi sur l’enrichissement illicite donne à toute personne au courant de comportements exorbitants de la part de tout agent investi d’une mission de service public, sans commune mesure avec son train de vie, de saisir les autorités compétentes aux fins de dénonciation. Tout le monde est donc interpelé.

Mon intime conviction est que la moralisation de la vie publique passe non seulement par la déclaration de patrimoine mais également par le fait qu’il doit être accepté que des personnes, investies d’une mission de service public, ne peuvent pas recevoir de cadeaux d’une valeur supérieure à un montant raisonnable. Dans certains grands pays, modèles de démocratie et de vertu, ces libéralités ne sauraient excéder 250 dollars US en espèces ou en nature. Au-delà de cette somme, elles doivent les déclarer.

Il appartiendra à l’administration chargée de l’éthique et de la déontologie des agents des services publics de déclarer ce cadeau recevable ou non. Il en est de même de certaines rémunérations de prestation de service à la condition que la prestation ait été autorisée a priori et qu’elle ne crée pas une situation de conflit d’intérêts.

Je crois sincèrement qu’aujourd’hui, il faut se féliciter de l’existence dans notre corpus juridique d’une telle Loi et de telles procédures. Il est vrai que rien n’est parfait dans la vie. Aussi, si quelqu’un se croit autorisé à critiquer le système tel qu’il existe, la bonne foi voudrait que ce soit fondé et constructif.

Au demeurant, je suis convaincu que si la CREI n’existait pas, tous ceux qui disent que la CREI doit être supprimée auraient exigé sa création car, en bons militants des droits de la personne, luttant farouchement contre la corruption, la concussion, le blanchiment d’argent, ils n’auraient jamais accepté que les agissements ainsi mis en cause puissent prospérer dans un pays pauvre où avec un milliard de francs Cfa, on aurait pu construire au moins cinquante écoles de six classes, chacune.

Youssoupha Diop

Juriste BP 3914 Dakar

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