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CONTRIBUTION: POUR L’HONNEUR DE LA JUSTICE Par Madiambal Diagne


Mardi 10 Février 2015

Dans le procès de Karim Wade, on peut s’accorder sur le travail de sape effectué au détriment de l’institution judiciaire. Le but de la manœuvre est de rendre ridicule toute décision qui en sortirait, et les juges restent stoïques

Il ne saurait être question ici d’un quelconque aggiornamento. Mais l’image que dégage la justice sénégalaise ces derniers mois mérite que l’on s’y penche et qu’au nom de la République, de ses principes et valeurs, que des voix s’élèvent.

En effet, on empruntera à Michèle Alliot-Marie, alors Garde des sceaux et ministre de la Justice et des Libertés en France, la formule contenue dans une tribune publiée dans les colonnes du journal Le Monde en juillet 2010, "qu’il n’est pas de République sans une justice respectée".

Seulement, l‘exercice de défendre l’institution judiciaire est voué à l’échec si les acteurs du monde judiciaire eux-mêmes entament sa crédibilité. Que penser aussi quand un ancien ministre de la Justice oublie la dignité de la fonction qu’il a exercée et se joint aux dénigreurs ?

Au gré des procédures judiciaires ouvertes dans le cadre de la traque des biens mal acquis, les institutions judiciaires ont été mises à mal dans une certaine opinion publique victime d’officines de communication qui chercheraient à saper leur crédibilité. La justice ne trouve personne pour la défendre, personne pour rétablir la vérité des faits, personne pour fixer des limites à l’opération de dénigrement.

Dans le procès de Karim Wade, tout le monde peut s’accorder sur le travail de sape effectué au détriment de la crédibilité de l’institution judiciaire. Le but de la manœuvre est de rendre ridicule toute décision qui en sortirait et les juges, tenus par une obligation de silence, restent stoïques.

L’honneur de la justice devrait être pourtant défendue et préservée au premier chef par les magistrats. On se rappelle par exemple le livre de l’avocat général près la Cour d’appel de Paris, Philippe Bilger, Pour l’honneur de la justice, publié en 2006 pour voler au secours d’une institution malmenée. Il est à préciser que Philipe Bilger avait une double ambition :

"Celle de ne pas fuir l’analyse des problèmes et des désordres qui affectent le fonctionnement du judiciaire et laissent le citoyen désemparé : lenteur de la justice au quotidien, responsabilité trop réduite des magistrats, corporatisme lourd, défaut d’humanité, rapports pervers avec les politiques, etc. hommes, structures et institution. Celle aussi de redonner de l’espoir à la Magistrature et de l’enthousiasme aux juges." Pour Bilger : "Il est temps que le monde judiciaire sorte de la plainte continuelle et renoue avec une volonté et un élan positifs. Il est temps, surtout, qu’il se mette véritablement au service du citoyen. L’honneur de la justice est à ce prix."

Quel magistrat sénégalais se livrera à un pareil exercice ? On attend de voir. Mais le plus renversant est que ce sont les magistrats eux-mêmes, par leurs comportements, qui sont en train d’exposer la justice à toutes sortes de critiques. Le ministre de la Justice, Sidiki Kaba, a révélé hier sur les ondes de la Rfm, dans l’émission "Grand jury", des dysfonctionnements graves que la hiérarchie judiciaire imputait à Alioune Ndao, du temps où ce dernier officiait comme Procureur spécial près la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei).

Tout ce qu’a pu dire Sidiki Kaba avait déjà été révélé à travers nos colonnes, mais ces manquements revêtent une autre gravité quand ils sont relevés par l’autorité de tutelle. Il apparaît dès lors que la simple mutation du magistrat ne saurait être une réponse suffisante et satisfaisante à ses dérives. Dans de pareilles situations, une enquête devrait être conduite par l’Inspection générale de l’Administration de la justice et des mesures disciplinaires éventuellement prises. Le laxisme et le manque de fermeté et d’autorité de la Chancellerie ont pu encourager une autre attitude, tout aussi renversante, d’un juge assesseur de la même Crei, Yaya Dia.

En pleine audience, le magistrat se leva pour vitupérer avec une langue de vipère et balancer sa démission à ses collègues, devant une salle d’audience médusée. Motif de ce comportement qui n’honore point l’institution judiciaire ? Le juge Dia n’était pas en phase avec le président Henri Grégoire Diop dans la conduite de l’audience. Le juge Dia n’aura pas la sagesse de demander une suspension d’audience pour arrondir les angles avec le président de la Cour, mais cherchait manifestement à se donner en spectacle.

En effet, tous les témoins s’accordent sur le fait que les circonstances du procès ce jour-là et les échanges entre l’assesseur et le président n’autorisaient pas un tel fracas. Le juge ne cherchait-il pas ainsi à discréditer l’audience et la juridiction et du coup la procédure qui était pendante ? N’eut été le fait que le juge Dia avait eu, par le passé, une attitude similaire avec un président de Chambre sociale de la Cour d’appel de Dakar, feu le juge Sakho, avec qui il avait failli en venir aux mains, ou qu’il n’avait pas d’antécédents de contentieux personnels avec le juge Henri Grégoire Diop, on aurait pu penser qu’un travail de sape avait commencé à prospérer au niveau des juges.

L’incident est assez grave et le juge Dia semble réaliser la bévue, après coup, jusqu’à travestir les faits relatés pourtant par tous les médias présents dans la salle d’audience. Dans la réponse à la demande d’explications que lui a servie le président Henri Grégoire Diop, le juge Dia semble édulcorer les faits. De toute façon, la responsabilité de la Chancellerie est en cause, car elle ne saurait faire l’économie d’une procédure disciplinaire dans le cas d’espèce.

Autrement, on ne devrait plus condamner un justiciable dans ce pays pour un quelconque trouble d’audience ou pour avoir jeté le discrédit sur l’institution judiciaire. Un juge ne saurait se comporter vulgairement au nom du principe d’indépendance de la Magistrature. C‘est de la même façon, que le premier président de la Cour d’appel avait été obligé de faire usage de son pouvoir de présider toute formation de sa juridiction, pour se substituer à un président de Chambre qui allait rendre une décision dans l’affaire Aïda Ndiongue, qui aurait été un véritable déni de justice.

Le juge Demba Kandji avait évité ainsi à l’institution judiciaire un véritable camouflet. Sans doute que tout le monde n’aurait pas perdu dans cette opération, mais la République du Sénégal aurait, elle, beaucoup perdu. Qui ne se souvient pas aussi que dans le traitement judiciaire de l’affaire Karim Wade, la première Chambre pénale de la Cour suprême, saisie à tort d’un pourvoi, a tordu le coup à la loi pour se substituer au législateur, outrepassant ainsi les limites de ses fonctions et attributions de juge ? Dans cette autre affaire, la Chancellerie avait préféré faire le dos rond.

LEQUOTIDIEN





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