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Babacar Justin Ndiaye, politologue : «Si le «Oui» l’emporte, Macky Sall sera le maître du jeu et du «Je»


Jeudi 3 Mars 2016

Dans cet entretien, le politologue Babacar Justin Ndiaye décortique les défis qui attendent le Président Macky Sall, avec l’organisation de ce quatrième référendum.


Babacar Justin Ndiaye, politologue : «Si le «Oui» l’emporte, Macky Sall sera le maître du jeu et du «Je»

Quels sont les enjeux de ce quatrième référendum, comparé aux trois précédents ?

En 1963, le Président Senghor a été à l’origine d’un référendum destiné à tourner la page du bicéphalisme d’alors. C’est-à-dire un régime politique à deux têtes, avec un chef de l’Etat qui inaugurait les chrysanthèmes et un Président du Conseil qui avait l’essentiel de l’Exécutif entre ses mains. Après décembre 62, Léopold Sédar Senghor avait le souci de stabiliser l’espace politique, dans un contexte où le parti unique était à son apogée dans le continent. Dans la foulée, il voulait mettre le pays au travail notamment, en portant sur les fonts baptismaux des institutions fortes et en jetant les bases d’une économie postcoloniale.

Ce référendum de 63 a ouvert une ère relative de stabilité pour le pays, jusqu’au départ de Senghor en 1980. Un départ qui ne s’est pas passé sous les meilleurs auspices, du point de vue démocratique, parce que le Président Abdou Diouf est arrivé au pouvoir, hors suffrage universel, par le truchement de l’article 35. Le référendum de 1970 était inscrit dans le prolongement de celui de 1963. Les préoccupations de Senghor devaient être ainsi affinées par des changements, certes mesurés, mais toujours stabilisateurs. Cette réforme a donc permis la création du poste de Premier ministre. Une Primature censée décongestionner la présidence de la République, en l’amputant d’une partie de ses charges. On peut dire que c’était un referendum à enjeux essentiellement institutionnel et successoral.

En 2001, le pays avait franchi le Rubicon de l’alternance dans un climat de paix et de sérénité que le monde entier envia au Sénégal. Et le Président Wade qui avait mené un combat de 26 ans, a eu le souci compréhensible de mettre en chantier un référendum porteur de changements plus en phase avec son bréviaire (le «Sopi») qui signifie le changement en langue nationale wolof. C’est le lieu de dire que les changements n’ont pas été des secousses telluriques sur le plan constitutionnel, puisque l’essentiel de l’ancienne Constitution fut préservé. C’est précisément cette Constitution que le Président Macky Sall va remodeler par le biais du projet de réformes en 15 points. C’est dire que tous les trois référendums de l’Histoire du Sénégal indépendant ont été des temps forts d’une démocratie en essor. Ils ont consacré, ensemble et à la fois, des tournants et des mutations de taille.

Qu’est-ce qui va changer avec ce quatrième référendum ?

Ce quatrième référendum ne change ni la République ni la Constitution. Néanmoins, il introduit un nouveau souffle institutionnel. Il fait passer un vent de modernisation dans la démocratie, il restructure l’Etat par une décentralisation amplifiée. Ça, ce sont les objectifs sur le papier. Mais, dans la mise en œuvre, les Sénégalais ont des appréhensions liées à la qualité de la rédaction du projet de réformes et à des arrière-pensées qui sont, à tort ou à raison, prêtées au Président Macky Sall. Il s’y ajoute que la réduction différée du mandat installe l’opinion dans une posture de réserve et de défiance qui pourrait, demain, oblitérer l’impact de la consultation du 20 mars.

Macky fait face à deux défis : le taux de participation et la validation de ses propositions. Quels sont ses risques d’échecs ? 

Un référendum est toujours une partie de poker. Interroger directement le Peuple par la voie référendaire, c’est solliciter un blanc-seing, une sorte de chèque en blanc. Si l’adhésion du corps électoral est remarquable, le Président aura les coudées franches et sera sur un nuage politique. Il pourrait, à la limite, se considérer comme un Jules César. A contrario, si le rejet sort des urnes, les institutions seront précarisées, la légitimité du Président déchiquetée et l’influence du Sénégal à l’extérieur rétrécie. C’est à pile ou face. On peut ici, saluer la témérité du Président Macky Sall. Une audace qui amortit l’effet de désolation découlant de l’avis assommant du Conseil constitutionnel

Un référendum à 2 milliards Cfa. Le coût n’est-il pas exorbitant ?

Opter pour la démocratie, c’est accepter d’avance le débat et le bruit, mais également des servitudes électorales, comme une Présidentielle, un Référendum et des Législatives. C’est-à-dire un paquet d’initiatives qui coûte inévitablement cher sur le plan financier, mais procure une paix sociale, une stabilité politique et un rayonnement extérieur. Il s’agit de faire la balance entre ce que procure la démocratie et le prix à payer pour asseoir la démocratie. Autrement dit, si les inconvénients ne manquent pas, il faut aussi dire que la démocratie présente beaucoup d’avantages. Et l’actualité du continent, de la Guinée-Bissau au Burundi, prouve que la démocratie est un choix, non seulement, judicieux, mais salutaire.

N’est-ce pas de l’argent jeté par la fenêtre, vu les autres priorités dans ce pays ?

Dans tous les pays de l’hémisphère Sud, de la Bolivie à Madagascar, les priorités s’amoncellent. De Senghor à Macky Sall, il y a toujours des choses à faire dans le domaine de l’Hydraulique, de la Scolarité, de la Santé maternelle et j’en passe. En un mot, la politique n’est pas la magie. Il y a certes des performances à atteindre et elles sont plus accessibles, lorsqu’elles sont escortées par la démocratie.

Le référendum, c’est dans un peu moins de 18 jours, ce délai trop court ne va-t-il pas impacter le taux de participation, d’autant que la plupart des Sénégalais ne comprennent pas le contenu des réformes…

Je ne peux pas vous donner une réponse abrupte. Toutefois, dans la Majorité présidentielle comme dans l’Opposition, on reçoit des échos qui, précisément, répercutent les inquiétudes autour de ce délai assez court. Je rappelle que le Sénégal a une machine à organiser des élections, en l’occurrence, le ministère de l’Intérieur qui est très rôdée. Dans un passé récent, on a institué un ministère des Elections, par ailleurs, notre démocratie a un certain âge. C’est donc dire que sur le plan technique, matériel et organisationnel, on peut espérer que ce tour de force sera réussi.

Ce référendum ne risque-t-il pas d’être le plus impopulaire dans l’histoire du Sénégal, vu sous l’angle du taux de participation ? Ceux organisés sous Senghor ont capitalisé, respectivement, des taux de participation de 94, 3% en 1963, 95, 2% en 1970 et celui sous de Wade 65, 7% en 2001…

«Laissons l’avenir venir», chantait Tino Rossi. Le futur immédiat nous fournira le taux de participation qui est, aussi, un élément constitutif de l’enjeu et de la finalité de ce référendum. Il permettra de jauger, grandeur nature et par anticipation, les contours politiques et statistiques de l’élection présidentielle de 2019. C’est donc dire que c’est important. Par conséquent, je ne voudrai ni jouer au Cassandres, ni être le champion d’un optimisme forcené.

Quelles seront les conséquences politiques d’un «Oui» ou d’un «Non» pour le Président Sall ?

Sur le double plan politique et psychologique, les deux réponses auront des incidences considérables. Si le «Non» l’emporte, le pays fera un demi-tour, en ce sens que le Président aura perdu son pari et les changements envisagés par le référendum seront gelés. Autrement dit, une forme d’immobilisme qui nous ramène aux réalités constitutionnelles de 2001. Si la réponse est «Oui», le Président pourra pavoiser et sera, du point de vue de la légitimité, requinqué. Il sera le maître du jeu et du «Je» car, il imprimera à la marche du pays, tous ses désirs.

LOBSERVATEUR




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