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Opinion

AFFAIRE KARIM WADE: UNE VÉRITABLE MISE EN SCÈNE PAR SALIOU GUÈYE


Mardi 9 Septembre 2014

Hannah Arendt montre, dans son ouvrage Eichmann à Jérusalem, comment les procès judicaires sont une véritable mise en scène. D’abord de l’annonce tonitruante par l’huissier du palais de justice de ces deux mots « la Cour », suivie de l’entrée des trois juges qui, tête nue, en robes noires, pénètrent dans la salle et prennent place sur la partie supérieure de l’estrade et sur le gradin inférieur jusqu’aux places de l’accusé, des témoins, du procureur, de la défense et du public, tout semble être scénarisé pour laisser à un spectacle théâtral. Ainsi le procès avec son rituel judiciaire expose les règles classiques du théâtre : unité de temps (durée du procès), unité de lieu (lieu du déroulement du procès) et unité d’action (le jugement).

C’est pourquoi le spectateur profane qui entre pour la première fois dans un tribunal pour assister à un procès est captivé d’abord par le décor ensuite par le débat juridique. Il y a là la mise en scène dramatique du procès avec une panoplie d’acteurs incarnant chacun un rôle qui lui est propre.

Et ceux et celles-là qui, depuis le 31 juillet dernier, assistent au procès de Karim Wade et de ses présumés complices ont l’impression d’assister à chacune des douze audiences qui se sont déjà déroulées à des genres théâtraux variés. Lorsque le rideau de scène s’ouvre, le président fait l’exposition des faits en lisant pour Karim Wade sa prévention.

Et quand ce dernier est à la barre, c’est pour radoter et psittaciser cette phrase lapidaire : «Je ne répondrai pas à cette question tant que Ibrahima Abou Khalil ne sera pas soigné et est en état de comparaitre». On assiste soit à une comédie soit à une farce car il ne manque pas, par ses répliques téléguidées, de verser dans l’humour caustique pour faire agacer la cour et égayer l’assistance dont une bonne partie est acquise à sa cause.

D’ailleurs Maître Yérim Thiam, ancien bâtonnier et avocat de la partie civile, en a fait les frais quand il lui a demandé si les dons qu’il recevait de son père de président étaient pour lui ou pour la République. Comme dans un dialogue stichomythique, celui qui est accusé de s’être enrichi illicitement de 117 milliards assomma son interrogateur par une réponse-question : «Dites-nous si les enveloppes que vous receviez de mon père-président appartenaient à vous ou à la République ?»

Mais cette réponse enfonce plus l’énonciateur que l’énonciataire car cela corrobore le flux de capitaux qui sortaient illégalement du palais de la République pour atterrir dans les poches ou les comptes bancaires de particuliers. Et si des citoyens qui ne sont pas apparentés au Président Abdoulaye Wade reçoivent des fonds puisés de la source intarissable des fonds politiques, a fortiori son fils statufié un temps prince héritier de par ses immenses qualités intellectuelles, son talent de manager-banquier, devait le premier et le mieux servi.

Donc après cette douche froide infligée à une partie de la partie civile, la scène continue sur un autre registre. En très bon acteur, Karim ne manque pas d’explorer un genre nouveau : il s’agit du théâtre aphasique où il perd le verbe et la verve devant les questions fâcheuses des magistrats de la Cour. Ainsi sur toutes les questions qui lui sont posées par le président de la Cour, ses assesseurs et la partie civile, Karim Wade, l’ancien ministre de la République omnipotent, qui avait ses ministres, ses directeurs généraux, ses journalistes soumis, sa valetaille a perdu sa faconde proverbiale qu’on lui connait.

Bibo, la pièce-maitresse du puzzle

Dans cette comédie farcesque, il ne manquait que le héros de l’histoire c’est-à-dire Ibrahima Khalil Bourgi dit Bibo sans lequel il n’y a véritablement pas de spectacle accrocheur. Puisque Karim, se plaçant comme un personnage secondaire, refuse de jouer sa partition en l’absence de son co-actant Bibo. Celui-là qui est transféré de sa luxueuse clinique du Cap pour être acheminé au grand théâtre judiciaire a su parfaitement jouer son rôle.

Arrivé sur une chaise roulante avec des bouteilles de perfusion remplies de liquide bi-chromique, il n’a pas hésité à courber la tête d’une façon affligeante et compassionnelle. Sans ouvrir, une seule fois la bouche à cause d’une maladie dont les qualificatifs sont aussi difficiles à prononcer (demander au président Henri Grégoire Diop qui buté maintes fois sur le mot coronarographie) qu’à écrire, il a ému une bonne partie du public sur la «souffrance» qui le tenaille. D’ailleurs quand ses assistants médicaux l’ont évacué dans les toilettes pour besoin d’urine, sa traversée de la grande salle dans une position de mourant a ouvert les glandes lacrymales de certains spectateurs au cœur émotif et fragile.

Mais le coup de théâtre intervient quand Bibo, presque inerte, est étalé sur une civière pour être évacué à sa clinique car, selon son médecin traitant, son corps commence à se refroidir. On a pensé au pire mais pour l’avocat El Hadji Diouf, c’est la comédie qui continue. D’ailleurs Maître Amadou Sall de la défense a immortalisé ce «quasi-mourant» pour le balancer à une presse sujette à toutes les manipulations. D’ailleurs certains quotidiens en ont fait le lendemain leur photo de «une» même si elle ne reflétait pas leur titre.

Mamadou Pouye, le compagnon de Karim Wade à Rebeuss, a joué sur le genre «tragédie». Son monologue a eu le mérite de faire pleurer Karim quand il a fait état de ses tortures coercitives pour l’obliger à accuser son ami d’enfance dont il ne se souvient plus les classes qu’ils ont fréquentées ensemble. A l’instar de Karim, sur certaines questions, il a préféré adopter une posture mutique puisque Bibo n’est pas là.

L’absence très calculée de cet actant principal du feuilleton tragi-comique qui se joue au grand Théâtre de Lat-Dior pèse lourdement sur les péripéties et le dénouement de ce procès. Car ni Karim ni Mamadou Pouye ne veulent piper mot sur les faits qui leur sont reprochés tant que Bibo reposera à la douillette clinique du Cap qui appartiendrait à son cousin.

Et leurs avocats ne sont pas en reste dans cette dramaturgie judiciaire à laquelle l’on assiste depuis le 31 juillet dernier. Ce sont les véritables metteurs en scène. Spécialistes en méthodes dilatoires et manœuvres d’obstruction, ils font tout pour retarder l’examen du fond du dossier. Aux multiples exceptions de procédure soulevées, in limine litis, et même après s’ajoute, in fine, la récusation du juge Henri Grégoire Diop pour cause d’impartialité.

Chacun joue bien son rôle. Si Amadou Sall, Seydou Diagne, Corinne Dreyfus et Nicolas Cassart sont réputés dans l’art de provoquer des incidents par des propos déplacés, effrontés ou de fausses colères au point de créer des suspensions d’audience, Maître Pierre-Olivier Sur (POS pour les intimes) que le journal Le Monde nomme humoristiquement Rantanplan, Baboucar Cissé et Pape Leyti Ndiaye excellent, eux, dans la provocation oratoire et la bastringue stérile. Demba Ciré Bathily et Clédor Ciré Ly se chargent des questions de droit et Madické Niang évoque son passé de garde des Sceaux pour se faire écouter par le président de la Cour. Souleymane Ndéné intervient en adjuvant.

Daport, la nébuleuse

On pensait que le présumé complice de Karim Wade, Mbaye Ndiaye, ex-directeur général des aéroports du Sénégal (Ads), allait adopter la stratégie de l’aphasie en évoquant l’absence du héros principal de la pièce théâtrale, mais il a refusé de jouer aux histrions. En bon acteur, il a joué le rôle qui lui incombait : argumenter en affinant une bonne stratégie de défense devant la Cour, le parquet général et la partie civile. Et au cœur de l’intrigue, il y avait la société Daport, filiale de Fraport et qui a fini à 90%, selon le réquisitoire du substitut du procureur, Félix Antoine Diome, entre les mains de Bibo, son frère Karim (en fuite) et Mamadou Pouye.

Daport se présente comme une nébuleuse puisque les avocats de la défense soutiennent que cette société appartient à 100% à Afriport, cette dernière appartenant à une autre société et tutti quanti. Daport qui exploite une partie de la plateforme aéroportuaire et qui a reçu des Ads plus de 2 milliards, sur la base d’une convention d’exploitation, n’est qu’une vache laitière pour un quarteron d’individus alors qu’elle n’a fourni aucune prestation concrète dans l’espace aéroportuaire, selon les arguments du procureur spécial de la Crei.

En réalité, Mbaye Ndiaye accusé de complicité d’enrichissement illicite en faveur de Karim Wade n’avait plus autorisation à signer des chèques ou des conventions au nom des Ads. Cela lui a coûté la signature d’une convention de 1 milliard 300 millions avec Ecobank, effectuée, dit-il, par usurpation de fonction par l’alors agent comptable des Ads, M. Konaté. Aussi s’est-il plaint d’être arrêté pour un fait commis par l’ex-agent comptable des Ads qui plastronne et vaque librement à ses occupations.

Maintenant Pierre Agbogba doit entrer en scène ce mardi suivi des témoins Cheikh Diallo, Patricia Lake Diop, Victor Kantoussan et autres. Sûr que le spectacle ne va pas en souffrir !

SENEPLUS






1.Posté par Mané Moussa le 10/09/2014 13:11 (depuis mobile)
Au su de ce compte rendu, nous sommes édifies que ce "procès" n''est pas un "procès " détournement de fonds publiques; il s''agit bel et bien d''une réunion de compte rendu d''affaires privées entre particuliers ou de représentants de sociétés.

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